Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais à force de me
le demander, à l'entame de cette rubrique, j'en viens à me rassurer aussitôt en
me disant que vous avez partagé mon sursaut quand, récemment, vous avez lu dans
la presse qu'aux États-Unis, un juge avait autorisé des adolescentes à
poursuivre en justice un groupe de restauration rapide que ma gracile autant
que drastique diététicienne m'interdit de nommer. Les plaignantes, devenues
obèses, ne se seraient pas trouvées suffisamment averties de la haute teneur
énergétique des repas et se plaindraient du marketing agressif réalisé à leur
égard!
Ainsi donc, ces gentes demoiselles ignoraient tout des
caloriques vertus – si j'ose dire – du hamburger au ketchup sanguinolent. Elles
n'étaient pas plus avisées des stratagèmes des publicistes pendus à leurs
basques alimentaires, et qui ont bien compris qu'ils devaient mettre les petits
plats dans l'écran. Elles récriminent néanmoins contre le matraquage pugnace
dont elles sont victimes, ce qui aurait dû leur mettre la puce à l'oreille, à
défaut d'en ajouter une à leur disque dur. Non, mais! Pauvres ados US, qui nous
montrent ainsi en quelle estime elles tiennent leur responsabilité dans leurs
choix gastronomiques. Enfin, "gastronomiques"… On se comprend!
Dans le fond, je me sentirais bien pousser des ailes de
grande inquisitrice ou de procureure générale. Ainsi, je trainerais allègrement
devant les tribunaux l'Académie française dont les sommations
orthographiques m'empêchent de décrocher les palmes de la docte dictée
médiatique de cette sémillante – qui a susurré: "jalouse"? – Madame
BALFROID. Je ferais condamner par contumace Charlemagne, inventeur de l'école
et donc, par déduction, des vacances qui me font perdre, à peine atteinte, la
frénésie du travail. Je porterais plainte contre le ministre inconscient qui
promulgua les attestations d'échec interdisant honteusement de sauter sans
contrainte de classe en classe, comme on butine de blog en blog pour éviter la
bloque. Dans le box des accusés: Justine HENIN et Rafael NADAL! Un reste de
patriotisme pour l'une et de scandaleux biceps de Robin des Bois pour l'autre
m'empêchent de faire du sport, quand leurs revers gagnants et leurs coups
droits rarement gauches me scotchent à mon téléviseur. Que l'on condamne à
perpétuité les inventeurs des calculatrices qui mettent sur la touche – delete,
bien sûr! – tout entrainement au calcul mental! Je n'envisage rien moins que la
cassation pour les Cassandre qui se répandent de Charybde en Pisa et de
statistiques en diatribes pour rendre notre électrocardiogramme pédagogique
aussi plat que notre voisin pays qui caracole au zénith de l'OCDE. Et pour tous
ceux qui arrivent en retard à l'école, je garde un dernier réquisitoire contre
les horlogers helvètes, qui n'ont pas encore inventé des montres adoptant un
train de sénateur les jours de grande fatigue!
"On ne savait
pas!", "Je n'y suis pour rien!", "Moi, responsable?"… Autant de variantes sur le même
thème: la responsabilité est remisée aux oubliettes de la culpabilité,
l'implication s'affiche aux abonnés absents de l'engagement, l'initiative
personnelle pointe au chômage pour intempéries psychologiques. "On est mal barre!", comme
diraient les jeunes qui, en l'occurrence, refuseraient certainement de la
tenir. Eh oui, mes braves, décider est un verbe qui n'a pas de contraire: ne
pas décider, c'est encore décider! Mais, sans gêne, ceux qui se font sonner les
cloches de leur irresponsabilité n'hésitent pas à aller en appel – des cloches,
peut-être? – de leur insouciance. Le phénomène n'a pas d'âge ni de frontière,
au point qu'on se demande s'il faut préférer un grand indécis d'ici ou un nain
décidé de là. Même le langage frileux s'y met, au point qu'un "sans
doute" qui parait certain signifie le plus souvent "peut-être".
Mais je parle, je parle… Soudain, je m'alarme: et s'il venait à l'idée de
l'un d'entre vous de m'intenter un procès pour l'avoir entrainé, contre son gré
bien sûr, jusqu'à la fin de cet article et de lui avoir ainsi soustrait un temps
précieux? Courage, fuyons!
Eugénie DELCOMINETTE