Parler sport...

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais pour ce qui me concerne, je ne suis pas sportive pour deux sous! Je serais plutôt du style de Lynda LEMAY quand elle chante: "Quand j'commence à m'sentir / Serrée dans mes vêtements / Regardez-moi courir... / En acheter des plus grands!". N'empêche! On a beau se tenir à l'écart des salles de torture ou de la gadoue du dimanche matin, on n'échappe plus aujourd'hui à l'oppression sportive. Même le langage succombe à la tyrannie du muscle. L'étirement se fait sémantique. La sueur perle au détour de l'infinitif. Jugez plutôt à l'aune de ces expressions courantes – si j'ose dire! – que je me suis efforcée d'appliquer au terrain scolaire.
"En garder sous la pédale": en cyclisme, se dit d'un coureur qui se réserve en fonction de la suite des évènements et participe peu aux relais d'une échappée. À l'école, se dit de l'insupportable Louis au QI de Prix Nobel et à l'acharnement scolaire inversement proportionnel; ce contraste peu apprécié des enseignants lui donne droit dans son bulletin à la sempiternelle remarque à HVDA (Haute Valeur Docimologique Ajoutée): "Peut mieux faire!".
"Jouer la montre": en football, par exemple, chercher à gagner du temps en ralentissant les échanges, en renvoyant le ballon vers son gardien… À l'école, se dit de l'inimitable Nicolas qui, lors de la visite médicale, pose à l'infirmière 36 questions incompréhensibles – y compris de lui-même –, se plaint au médecin de douleurs vagabondant aux quatre coins de son anatomie et, cerise sur le gâteau, traine autant qu'il peut pour se rhabiller, histoire d'arriver hors délais d'un hypothétique retour en classe.
"Slalomer": en ski, effectuer une descente sur un parcours sinueux jalonné de portes à franchir, marquées par des piquets surmontés de fanions. À l'école, se dit de l'indolent Pierre-Christophe qui, aux heures de gloire de l'enseignement rénové, négociait des courbes avantageuses entre maths fortes et latin quotidien pour se composer un menu Weight Watchers.
"Être étendu pour le compte": en boxe, situation d'un boxeur "envoyé au tapis" par son adversaire et qui ne se relève pas avant que l'arbitre ait compté jusqu'à dix. À l'école, se dit de Monsieur LAPIERRE dont la stupéfaction n'a d'égal que l'incrédulité lorsque l'incorrigible Kevin lui affirme tout de go que c'est RICHELIEU qui fonda la Star Academy française!
"Être dans les starting-blocks": en athlétisme, position du coureur de sprint qui prend appui dans des cale-pieds pour faciliter un départ rapide. À l'école, se dit de Marie-Chantal qui est née avec une main impatiente dirigée invariablement vers le ciel, signe d'un insatiable désir de répondre à toutes les questions et – pire – d'en poser qui laissent quelquefois cois ses enseignants. Certaines mauvaises langues prétendent qu'il n'existe plus de Marie-Chantal aujourd'hui…
"Botter en touche": en rugby, envoyer le ballon en dehors des limites du jeu. À l'école, se dit de Dylan qui s'est fait une spécialité très appréciée de ses condisciples pour détourner son prof de math de ses projets asymptotiques vers les pronostics footballistiques et sa prof de néerlandais des verbes irréguliers vers les commentaires breughéliens du plat pays.
Alors, convaincu(e) de l'invasion sportive? Mais il est temps de siffler la fin de la partie! Je jette l'éponge. Passons à la troisième mi-temps, celle de la réflexivité. Vous voilà prévenu(e). Si vous êtes surpris(e) en flagrant délit de doper votre discours par un délire sportif, vous ne pourrez plus sortir votre botte secrète et, dans la foulée, affirmer pour votre défense, tel ce célèbre cyclo-linguiste: "C'était à l'insu de mon plein gré!".

Eugénie DELCOMINETTE


EXPOSANT neuf n°22, décembre 2004