A qui appartient l'école?

L'école? Tout le monde connait! Pour y avoir passé de longues heures comme élève. Pour y être toujours resté comme enseignant. Pour y voir une forme majeure d'éducation et de formation comme parent. Dès lors, chacun s'en fait une conception et entretient à son égard des attentes. Cette proximité engendre parfois un sentiment de propriété. Mais in fine, à qui appartient l'école: à ses bénéficiaires ou à leurs parents, à ses prestataires ou à leurs représentants, à ses responsables institutionnels, aux futurs employeurs, à ses chercheurs, aux citoyens…?


Mon école comme je la veux!

24 juillet 1997. Les enseignants de toutes les écoles du royaume, leurs élèves et une bonne partie des parents des ces derniers profitent de vacances bien méritées. Seuls veillent sur l'école les parlementaires de la Communauté Française. Au point même de la doter d'un texte fondateur: le décret "Missions prioritaires de l'enseignement fondamental et secondaire". "Depuis l'indépendance de la Belgique", dira la ministre de l'enseignement, "c'est la première fois que la société définit clairement les objectifs de son école ".
Pour populariser ces prescriptions décrétales, le ministère édite une cassette vidéo, un dépliant et le texte intégral du décret. Titre commun de ces publications: "Mon école comme je la veux!" Intitulé pour le moins surprenant! Qui parle? La ministre? Un sous-titre permet de lever l'équivoque: "Ses missions. Mes droits et mes devoirs." Les photos de couverture soutiennent l'interprétation: uniquement des jeunes en âge de scolarité obligatoire.
Le possessif de la formule suggère-t-il que l'École leur appartient? Qui plus est, individuellement alors qu'un pluriel eut été au minimum bienvenu? "Comme je la veux!" présume-t-il qu'ils peuvent imposer une scolarité aux couleurs de leurs (quatre) volontés? À supposer que cela soit ainsi, les enseignants acceptent-ils de céder leurs "droits" à des élèves ainsi émancipés? Les parents voient-ils d'un bon œil leur progéniture extorquer une partie de leur responsabilité éducative? Les hommes politiques sont-ils à ce point démocrates ou dépassés par les événements qu'ils cèdent aussi facilement leurs prérogatives à leurs jeunes concitoyens? Les chercheurs abandonnent-ils leurs thèses et les employeurs leurs revendications à une jeunesse portée (ou abandonnée?) à de telles responsabilités? En forçant ainsi le trait d'un titre à l'allure complaisante, on perçoit bien l'incongruité du propos.
Mais se pose alors la question: "À qui appartient l'École?" On comprend immédiatement que cette formulation ne doit pas être entendue comme celle lancée désespérément et sans échos par une institutrice maternelle qui a soudain déniché un pull sans propriétaire. Non, en matière d'École, l'interpellation attise illico quelques acquéreurs potentiels. Mais aussitôt, la question devient dès lors celle de notre capacité – individuelle, mais surtout collective – d'instaurer un débat puisque la seule confrontation des intérêts catégoriels ne suffit pas à "limer" les intérêts particuliers. Il nous faut sortir de nos revendications étroites pour entrer dans le point de vue de l'autre. Notamment, pour envisager de l'école une part coûteuse que spontanément je ne "veux" pas, mais qui recèle peut-être une promesse de bien-être collectif accru. C'est à cette condition que nous aurons quelques chances, comme le suggère Philippe MEIRIEU, de faire prévaloir la réflexion sur la séduction, l'intelligence sur la violence, l'exigence sur la facilité, la solidarité sur l'individualisme, le pari de l'éducabilité sur l'élimination du "maillon faible".
Si on n'évitera pas l'un ou l'autre propos démagogique dans un courrier des lecteurs égaré, n'est-on pas en droit d'attendre des acteurs les plus médiatisés de cet indispensable débat une hauteur de vue et une sagesse qui les dispensent de la langue de bois, des formules séductrices et des déclarations matamoresques?

François TEFNIN

Editorial du N° 16 d'EXPOSANT neuf, septembre-octobre 2003.