Le tableau de la
classe joue le miroir aux compétences. Non pas celles, aseptisées, des programmes,
mais celles – bien réelles ou cruellement défaillantes – que la sentence
scolaire me reconnaît ou me reproche. Comment ce verdict me rend-il estimable à
mes propres yeux?
Le téléviseur et
l'ordinateur m'abreuvent, octet après octet, de représentations du monde.
Celles-ci tissent une toile qui, si je n'y prends garde, pourrait bien faire
écran à l'apprentissage. Comment tous ces reflets peuvent-ils me faire
réfléchir à ma propre image?
Entre ce que je
crois être et ce que je suis, entre l'image que je donne et celle qu'on me
prête, entre ce que les autres en perçoivent et ce qu'ils m'en disent, comment
me dépêtrer de toutes ces versions de moi-même? Sans me ronger
introspectivement. Loin d'un narcissisme à la Castafiore, d'un nombrilisme staracademycien
ou d'un puérocentrisme omnipotent. Avec lucidité. Tout simplement…
Reste comme tu deviens…
Mars 1996. Le
séminaire annuel de formation des directeurs du diocèse de Liège. Au programme,
une intervention d'Albert JACQUARD. Celui-ci développe ses idées en insistant
sur le rôle primordial de l'éducation. Au risque de paraître utopique. D'autant
plus utopique que les mouvements sociaux de ce printemps 96 partagent
l'attention du public avec ce qui se passe (ou ne se passe pas, grève aidant)
dans leur établissement, en leur absence. Vient le temps des questions et des
réponses que j'ai la chance d'animer. Pour clore cette rencontre, je me permets
une dernière question: "Albert Jacquard, sans vouloir vous vexer, votre
âge vous permettrait légitimement de cultiver votre jardin. Or, vous revenez du
Maroc et vous allez repartir demain aux quatre coins de la France. Qu'est-ce
qui fait courir Albert Jacquard?" Sans hésitation, il répond: "C'est de me trouver
beau dans le regard des autres."
Comment l'École
peut-elle faire en sorte que les élèves, mais aussi les enseignants, les éducateurs,
les directeurs se trouvent beaux dans le regard des autres?
Novembre 2002.
Les murs de nos villes, les pages de nos quotidiens affichent en double un
buste dénudé censé vanter les vertus d'une eau minérale. À première vue, la
répétition de la photo paraît une simple insistance publicitaire. À y regarder
de plus près, la différence apparaît… ou plutôt la volonté de marquer l'absence
de différence: les deux photos ont été prises à dix-sept ans d'intervalle: 1985
– 2002. Le même mannequin, la même pose, la main juste un peu plus bas sur la
joue. Le même slogan: "Reste comme tu es". Ah, cette espérance
prétentieuse d'arrêter du temps l'irréparable outrage!
Comment l'École
peut-elle faire en sorte que les élèves, mais aussi les enseignants, les éducateurs,
les directeurs ne restent pas comme ils sont?
Car, à l'inverse
de l'eau minérale, le projet de l'École est bien de transformer quitte à bouleverser,
de modifier quitte à déranger, de changer quitte à remanier aujourd'hui pour
qu'advienne un demain différent. Pour que l'image d'eux-mêmes des acteurs scolaires
se construise dans des interactions positivement perturbatrices, pour que leur
estime réciproque allie respect et coopération, pour qu'ils puissent se trouver
beaux dans leurs regards échangés, il conviendrait – de manière un peu
paradoxale sans doute – de substituer au slogan publicitaire celui-ci: "Reste
ce que tu deviens!"
François TEFNIN