Je ne sais pas
si vous êtes comme moi, mais les statistiques m'ont toujours émoustillée.
Surtout le matin. Soutenue par Antoine – le seul, le vrai: de la GARANDERIE,
évidemment! –, quel délice de pouvoir évoquer mentalement des chiffres anonymes
qui ondulent en courbes lestes entre d'abyssales abscisses et des ordonnées de
plus en plus désordonnées… Rêvasser à de sémillantes moyennes parées de leur
plus beau sigma gambadant allègrement dans des tableaux à double entrée à la
recherche de quelques solitaires pourcentages! Pour peu, cela aurait quelque
chose d'érotique. Bon, je vous l'accorde, avec un brin d'imagination! Surtout
le matin.
Or donc, me voici dans les brumes matutinales, compulsant
d'un œil ferroviaire à demi éclos mon Métro
quotidien, histoire de commencer ma journée light. Ciel, que lis-je? "La taille des ménages dépend du lieu
et du type de logement". Que voilà une nouvelle, qu'elle est bonne!
Rappelez-vous: il y a quelques mois, vous et moi – du moins si nous partageons
le même sens civique… ou une identique phobie de l'amende – avons coché un Lotto
géant dressant, sous maints aspects, notre portrait professionnel, résidentiel,
déplacementiel, familial, loisiresque… Et que voici, les résultats de ce forage
identitaire livrés tout chauds par l'Institut National de Statistiques: "Un ménage belge compte en moyenne 2,41
personnes". Les moyennes laissent toujours perplexe, surtout pour les
41 centièmes d'individu. S'agit-il de 41 centièmes d'un tapageur nouveau-né ou
d'une tranche de papy ventripotent? Vous conviendrez que ce n'est pas chou vert
et vert chou, même si l'aïeul est jardinier et que le chérubin s'en est extirpé
(du chou, suivez donc un peu!).
Mais retour sur le titre de l'article: "La taille des ménages dépend du lieu
et du type de logement". Ah bon! Et si c'était le contraire?
L'éternelle question de la poule et de l'œuf! Sont-ce les ménages qui
choisissent leur habitat ou le logement qui ménage les familles? S'agit-il de
nous convaincre que les mètres carrés disponibles constituent une nouvelle
méthode contraceptive? Ainsi, si vous habitez un studio ou une chambre, votre
descendance est compromise puisqu'à l'inventaire, vous n'êtes que 1,70 personne
dans ce type de résidence. Notez que même dans les maisons isolées, on
n'atteint encore que 2,78 personnes, ce qui ne fait pas encore un père, une
mère et un enfant!
Fichtre! Ces décimales (et femelles) commencent à
échauffer mes neurones! Aussi, déserte-je cette découpe familiale truffée
d'arithmétique pour étirer mes méninges à grand renfort d'un texte vantant les
mérites de la raison large dans les programmes scolaires. Je vous concède que
ce changement de cap s'apparente à un triple salto arrière cérébral. Surtout le
matin. Ici, foin de sinuosités alléchantes! Au mieux, une saine rivalité entre
une raison au régime et sa consœur XL. Pour ceux qui auraient séché les
épisodes précédents, les travaux du Congrès de l'enseignement catholique ont
mis en débat deux raisons – une large et une étroite – pour interroger les
enjeux de la formation scolaire. Les illustrissimes compétences peuvent être
auscultées à l'aide de cette loupe.
Comment dites-vous? Tout cela est
un peu théorique! Je vous sens faiblir. Allez, un petit exemple et tout ira
mieux. Tiens! Reprenons l'envergure familiale et la surface habitable. Consigne
d'un problème contextualisé – histoire de faire "vrai" – mais un peu
étriqué du point de vue de la raison: "Calculez
la superficie au sol de votre habitation en distinguant les espaces communs des
domaines individuels. Pour chaque catégorie, exprimez la surface disponible par
personne avec une précision de deux décimales". Alternative,
représentative d'une raison plus spacieuse: "Dans
l'article du susmentionné Métro, critiquez sur le plan idéologique la causalité
entre les variables proposées par l'auteur de l'article".
"Oufti, c'est autre chose!", me rétorquez-vous. "Je vous vois venir; ne seriez-vous pas
en train – si, si, je vous l'ai dit depuis le début de cet article, mais
passons – d'insinuer, comme la sagesse
populaire, qu'on peut faire dire aux chiffres ce qu'on veut?". Hé oui,
ma bonne dame (les messieurs adapteront), ce qui compte – si j'ose dire – ce
n'est pas de calculer, mais bien de calculer. Non point aligner ces savantes
acrobaties de nombres anonymes et de chiffres reportés mais davantage, comme
nous le signale le dico de service: "Évaluer,
déterminer par la pensée, le raisonnement en fonction de certains
facteurs". Tout est question d'objectif, évidemment. La quadrature du
cercle ou la droiture du verbe?
Bon! Le train
entre en gare. Arrêtons là ces réflexions. Comme nous l'assène la pub: "Plus,
ce serait trop!". Surtout le matin.
Eugénie DELCOMINETTE