Prendre le risque du voyage.
Solliciter des expériences et des témoignages étranges et étrangers.
Ce dossier n'a pas la visée d'un
Michelin pédagogique. Ni prétention à
l'exhaustivité ni ambition de sélectionner des sites éducatifs "trois
étoiles". Pas davantage une revue pointue de l'organisation de systèmes
scolaires exotiques.
Restent des points de vue
partiels – et sans doute partiaux – qui interdisent toute généralisation. Des
témoins d'écoles proches ou lointaines, voisines ou étrangères de nos conceptions
éducatives.
Néanmoins, des occasions de
confronter – plutôt que de comparer terme à terme – nos manières de faire à ces
cartes postales venues d'ailleurs. En filigrane, pouvoir lire les paradoxes et
les enjeux, soupçonner les options philosophiques et politiques de ces autres
manières de faire l'école. Histoire de dévisager la nôtre avec un regard
décalé…
L'école est toujours ailleurs
Nicolas. Deux
ans et demi, pile. De quoi justifier un premier jour d'école. Ce mot ne représente
pas encore grand-chose pour lui. Sa demande réitérée de fréquentation scolaire
– "Pourvu que cela dure!", spéculent ses parents ambivalents –
se fonde sur l'expérience épanouie de Julie, son aînée de deux ans, promotrice
inconditionnelle de Madame Christine. Curiosité et crainte mêlées, Nicolas
ignore encore tant le prix que le profit de ce saut décisif dans un ailleurs
bien différent de ses repères familiers.
Estelle. Sept
ans. Sa complicité avec les chiffres et les nombres est tout ce qu'il y a de
plus superficiel. La fréquentation même lointaine de l'infini lui donne le
vertige. Sa personnalité s'accommode mal de cet horizon mathématique instable
qui se dérobe sans cesse sous ses pieds. Bref, cet ailleurs aux limites
absentes lui fait peur. Sans doute même, à son insu.
Stéphanie.
Quinze ans. Son école s'apparente à une diversion salutaire. Une mère malade,
un père au chômage qui, de plus, cumulent les problèmes financiers. Bien sûr,
il n'est pas facile tous les jours de se concentrer sur une analyse littéraire
ou un problème mathématique quand la tête est ailleurs. Mais c'est aussi
l'opportunité de ne pas se sentir définitivement enfermée dans un avenir bloqué
et d'envisager peut-être des lendemains différents.
Stéphane.
Quarante ans. Depuis le temps, il connaît son cours de géo sur le bout de ses
mappemondes. Malgré ses préparations, il s'étonne toujours que les leçons se
conforment rarement à ses programmations. Les réactions de ses élèves
l'emmènent souvent ailleurs que ce qu'il avait prévu. C'est aussi ce qui lui
plaît dans ce métier qui, sans cela, ressemblerait vite à une routine.
Emily, Kaan, Valentin. Ils
sont les témoins étrangers de notre dossier. Si leur école constitue un
ailleurs pour nous, elle en représente un pour eux aussi, même si plusieurs
d'entre eux vivent dans des conditions moins privilégiées que les nôtres. C'est
que l'école est toujours ailleurs. Forcément. C'est même sa fonction première
de nous emmener au-delà de ce que nous sommes. De nous faire advenir autre à
nous-mêmes. Ce dépaysement ne se fait pas sans heurt. Mais pas sans plaisir non
plus… Il faut apprivoiser l'étranger pour nous le rendre familier. Ce sentiment
d'étrangeté est inhérent aux rencontres que l'école nous propose: un enseignant
à comprendre, un auteur à appréhender, un métier à apprendre, un échec à
dépasser, un groupe-classe avec lequel composer… Le savoir lui-même n'est-il
pas motif de déracinement avant qu'il ne devienne source d'enracinement?
François TEFNIN