Je ne sais pas
si vous êtes comme moi, mais il y a des jours où je suis en manque. En manque
d'idées. Cruellement! Aujourd'hui, par exemple. Je le sens; ce n'est pas mon
jour. Ce ne serait pas encore trop grave si je n'étais pas payée pour en avoir.
Des idées. Enfin, comprenons-nous bien! Quand je dis "payée", c'est
une façon de jaser. Si, (entre parenthèses) – comme vous le constatez, je joins
le geste à la parole – mon rédacteur en chef, survolant d'un œil appliqué ces
lignes, pouvait infléchir la courbe de ma prochaine augmentation, le ciel n'y
verrait pas scandale. Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos carpes
auxquelles je m'identifie plus volontiers, mutisme de mon cerveau droit aidant.
Enfin, quand je dis "aidant", je me comprends!
Vous conviendrez que, pour rédiger un billet "humour/humeur",
les idées, ça aide! A fortiori, si elles doivent être drôles. Ce
qui ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval, ni sous la nageoire d'un
cyprinidé (rapport aux carpes). Mais, telle une anguille, ne nous laissons pas
aller à quelque faux-fuyant! Tiens, au fait, quel peut bien être le contraire
d'un faux-fuyant? S'agirait-il d'un demeuré-avéré? Mais je me laisse à nouveau
distraire!
Déambulant déboussolée dans mon désert cérébral, j'imagine
sans peine le désarroi de l'élève Désiré LESS devant le reproche de sa feuille
vierge, conception encore immaculée d'un devoir en attente de forceps. Même
lavée à 40°, sa page ne récupère pas l'éclat des couleurs d'une dissertation
idoine. Et n'invoquez pas le premier psychanalyste venu pour me faire l'éloge
du manque et des associations d'idées comme sources de création! On ne m'ôtera
pas de l'idée que rien, c'est rien!
Si, au moins, j'avais une idée! Fût-elle noire: il se
trouverait bien une bonne âme pour me convaincre que je me fais des idées!
Fussent-elles fixes: je m'y amarrerais sans en perdre le fil. Si par bonheur ce
dernier était rouge, je pourrais peut-être aller au bout de quelques-unes,
plutôt que de sauter stupidement de l'une à l'autre! Tenez, dans mon état
d'imagination anorexique, je me contenterais même d'une idée reçue. Pas de
panique! Il ne me viendrait pas à l'idée de faire une quête conceptuelle! J'ai
encore ma fierté.
Ah! A-t-on idée de ne pas en avoir! Mais que celui qui n'a
jamais été pris en défaut d'invention me jette le premier caillou. Il ne vous
est jamais arrivé de sécher devant un bulletin? Je vous ai vu – oui, vous
là-bas, au fond à droite! – la semaine passée, à la salle des profs: "Peut mieux faire!", "Bravo,
continue!", "Étudie!". Avouez: avec pareilles mentions, vous
ne risquez pas de remporter le Goncourt de la docimologie! Quand je pense que
DIDEROT prétend: "Nous avons plus
d'idées que de mots"! Ce jour-là, il aurait bien fait de remettre de
l'ordre dans les siennes.
Bon! Tout cela ne me dit pas comment je vais rédiger mon
billet. Toujours pas la moindre idée à l'horizon de mon clavier! Je pourrais
peut-être vous exposer ma détresse, mais dans le monde implacable où nous
vivons, la compassion et l'indulgence ne sont pas les choses les mieux
partagées. J'en suis d'ailleurs toute retournée! Comment dites-vous? J'aurais
pu me retourner plus tôt? Attendez que je me rétrovisionne! Et bien ça, c'est
la meilleure! Sigmund va encore se moquer de moi: j'avais une idée derrière la
tête, et je n'en savais rien!
Eugénie DELCOMINETTE