Être informé,
est-ce participer? Être consulté, l'est-ce davantage? La concertation est-elle
le degré inférieur de la participation qui serait elle-même dépassée par la
cogestion, avant-dernière marche avant l'autogestion?
La participation
à l'école: une tentative d'éducation à la citoyenneté qui renvoie dos à dos le
corporatisme des uns comme le consumérisme des autres. Une distinction à
rappeler sans cesse entre le négociable et le non négociable. Un travail de
discernement continu entre le savoir et l'opinion. Un exercice d'équilibre
permanent entre la transmission et le débat.
Urgence
Bien sûr, on
peut distribuer à la volée des adresses e-mail à tous les élèves du fondamental
en espérant qu'ils se souviennent un jour du nom du généreux initiateur ministériel.
Il est tout aussi essentiel de s'inquiéter du poids des cartables ou de
préciser le contenu sémantique du terme "environ" dès qu'il s'agit de
préciser la durée des devoirs. On peut s'enthousiasmer sur les vertus supposées
d'un BAC qui viendrait résoudre d'autant plus magiquement les problèmes
d'orientation qu'on en débat sans préciser de quoi il serait constitué. Et tant
qu'à faire, pourquoi ne pas relancer les affrontements sur la question d'un réseau
unique? On peut même déployer une énergie considérable pour installer de nouveaux
programmes échafaudés sur une assise compétentielle, non sans avoir discouru
plus ou moins complaisamment sur quelques divergences terminologiques.
On peut faire
tout cela et bien d'autres choses encore. Avec bonne volonté ou calcul politique.
Avec discrétion ou tintamarre médiatique. Avec succès ou dans l'indifférence
générale. Reste une question: ces initiatives et d'autres du même genre
vont-elles résoudre les urgences d'aujourd'hui?
Loin de moi
l'idée qu'il ne serait pas important de préparer nos enfants aux nouvelles
technologies ou de préserver leur colonne vertébrale. Mais à supposer que
demain nous formions des adultes dont la compétence aurait été évaluée finement
dans des structures d'enseignement utilisant au mieux les toujours insuffisants
deniers publics, aurions-nous accru de manière significative nos chances de
mieux vivre ensemble? Nous savons que l'acquisition des savoirs – même patrimoniaux
– ne promet rien; au mieux, elle constitue une entrée dans la culture sans
garantie d'une automatique éclosion citoyenne. Nous ne nous illusionnons plus
sur la maitrise des savoir-faire dont nous savons qu'elle peut mener à tout, y
compris au pire. Mais qu'en est-il des autres dimensions de cette typologie
déjà ancienne: le savoir-être et le savoir-devenir.
Être et devenir
individuellement, sans doute. Si toutes les initiatives en matière de pédagogie,
de structures, voire de logistique ne trouvent pas un écho sympathique dans les
projets personnels des jeunes, mais aussi dans ceux des adultes, on peut
craindre que, le sens mis en congé, ces mesures ne soient que du vent,
décoiffant au mieux quelques activistes impatients.
Être et devenir
collectivement, surtout. Particulièrement aujourd'hui. Quand nous dévisageons
notre environnement, à l'école et en dehors, n'est-ce pas autour d'un projet
collectif qu'il faudrait prioritairement investir notre temps, nos énergies et
nos ressources en tous genres? Tel jeune enseignant renonce au métier après
quelques semaines d'un premier intérim, découragé par l'impossibilité de faire
cours: sa préparation de leçon vient buter contre des comportements qu'il
n'arrive pas à contenir. La télévision nous offre en direct les crimes d'un
terrorisme nourri sans doute de manière inexcusable aux sources de la haine et
du fanatisme, mais on ne peut ignorer l'histoire.
Participer et
faire participer. Tant les bruits du monde que les agitations institutionnelles
ne peuvent nous soustraire à notre responsabilité de construire un rapport aux
autres digne de notre humanitude. À notre échelle, modestement. Avec
obstination, inlassablement. Avec urgence, certainement.
La participation
à l'école ne se présente-t-elle pas comme une opportunité: celle de nous
assurer qu'au-delà de nos différences, nous soyons capables de déceler
suffisamment de points communs pour que la parenté l'emporte sur l'étrangeté et
sur sa tentation, la discorde. Évidemment, comme le suggère Philippe MEIRIEU[1],
"Rien de tout cela ne peut être garanti,
à coup sût, par une miraculeuse réforme. C'est notre faiblesse et ce qui nous
ferait, parfois, désespérer de l'école. C'est aussi notre grandeur et ce qui
nous permet de ne pas désespérer de nous-mêmes".
Participer ou...
Qui doit participer à la décision d'affectation
d'un budget consacré à l'amélioration du cadre de vie scolaire?
Faut-il que les voyages organisés par
l'école présentent obligatoirement un caractère culturel?
Pour les élèves qui le souhaitent, l'école
doit-elle organiser en fin de degré des visites dans des établissements qui organisent
d'autres options?
Comment mettre à disposition du papier hygiénique
dans les toilettes tout en évitant que celles-ci soient bouchées par
malveillance?
Quel type d'activités faut-il proposer aux
élèves à l'occasion des retraites et faut-il y contrôler les présences?
L'appréciation cotée d'un chef d'œuvre ou
d'un travail de fin d'études doit-elle intervenir dans les résultats de fin de
cycle?
Le centre de documentation de l'école
doit-il être accessible en dehors de heures de classe?
La liste est
potentiellement infinie. Qu'est-ce qu'une journée scolaire sinon une suite ininterrompue
de décisions essentielles ou banales prises par les uns et par les autres. Or,
qui décide de qui peut décider? Un organigramme inégalement connu des différents
acteurs? Des habitudes à ce point bien ancrées qu'il ne viendrait à personne
l'idée saugrenue de les contester? Un hasard qu'on espère suffisamment heureux
pour donner l'impression d'une organisation judicieusement huilée? Un subtil mélange
de ces différentes possibilités?
Un principe
systémique de base prétend qu'"il
est impossible de ne pas communiquer". On peut sans doute voir dans la
participation une forme particulière de communication. Dès lors, de gré ou de
force, consciemment ou à notre insu, avec fine stratégie ou en "mettant
les pieds dans le plat", nous participons tous à la vie de nos institutions;
y compris quand nous avons le sentiment de nous en abstenir, attitude la plus
sûre pour assurer la pérennité du fonctionnement en vigueur.
Si la
participation exige des acteurs de base un investissement qu'ils ne sont pas
toujours prêts à consentir, ils se trouvent – parfois, souvent? – rejoints dans
cette frilosité par les détenteurs supposés ou avérés du pouvoir. Selon les
cas, ces derniers craignent de perdre leur influence, le contrôle de la
situation, leurs avantages acquis… Il ne leur est pas difficile d'argumenter le
bien-fondé d'une participation de régime: le manque d'informations, l'absence
de responsabilité institutionnelle ou une maturité jugée insuffisante peuvent
tour à tour restreindre les ambitions d'ouverture.
Et pourtant! Un
raisonnement par l'absurde même succinct suffit à convaincre de la nécessité
d'une réelle participation. Du point de vue des acteurs de base tout d'abord:
qu'on soit élève ou enseignant, peut-on réellement devenir une personne
épanouie assortie d'un citoyen autonome et responsable sans un minimum d'engagement
dans les affaires de la cité scolaire? Du point de vue des responsables
institutionnels ensuite: peut-on piloter un établissement à tenant à distance
les besoins, les questions, les propositions, mais aussi les contestations de
ceux qui deviennent alors des "administrés"? Si la non-directivité
totale n'est plus de saison, on connaît les effets d'une directivité excessive:
soumission léthargique pour les uns, démobilisation masquée pour les autres,
mais aussi révolte plus ou moins rentrée pour les plus frustrés… ou les plus
courageux. Si nous avions oublié les conséquences de cette confiscation,
l'actualité récente est là pour nous les rappeler.
Alors: Qui doit participer à la décision d'affectation
d'un budget consacré à l'amélioration du cadre de vie scolaire?
François TEFNIN
Editorial du N° 6
d'EXPOSANT neuf, septembre-octobre 2001.
[1] MEIRIEU Ph., LE BARS S., La machine-école, Gallimard, 2001.
[1] MEIRIEU Ph., LE BARS S., La machine-école, Gallimard, 2001.