Au-delà des
contraintes matérielles, la maison est à l'image de ceux qui l'ont construite
et encore davantage de ceux qui l'habitent: citadine ou campagnarde, tout en
longueur ou en hauteur, luxueuse ou modeste, elle reflète l'âme de son
propriétaire. Et réciproquement, elle exerce une influence sur lui.
Ce qui est vrai
pour la maison l'est tout autant pour l'école: elle indique les intentions éducatives
de ceux qui l'ont conçue et elle agit sur tous ceux qui viennent y passer leur
scolarité et y exercer leur métier.
Zoom avant!
Il n'est pas
nécessaire d'en visiter beaucoup pour s'en convaincre: chaque école possède son
âme. Dès l'abord, sa situation – urbaine ou rurale, verdoyante ou bétonnée,
spacieuse ou étriquée – nous informe déjà. L'architecture des bâtiments libère
ou limite le mouvement. Les murs soutiennent ou quadrillent les initiatives
pédagogiques. Les volumes stimulent ou embrouillent les relations.
Zoom avant. À l'intérieur de la classe, la disposition
des tables ou des bancs, la présence ou l'absence d'armoires, d'affichage aux
murs, de matériel didactique… en disent tout autant sur la manière dont les
occupants vivent leur scolarité au quotidien. Si les relations sont en partie
déterminées par la disponibilité des surfaces dans lesquelles elles
s'inscrivent, l'apprentissage, lui aussi, se conjugue en fonction de l'espace.
Telle méthode participative est ici possible et impraticable là-bas. Tel travail
de groupe se développe sans problème dans ce local, alors qu'il entraine chahut
dans celui d'à côté. Les mètres carrés ne sont pas seulement prétexte à
d'interminables problèmes arithmétiques de champs à ensemencer ou de parcelles
à bâtir; ils conditionnent également la nature des apprentissages.
Zoom avant. Les
opportunités ou les contraintes spatiales s'imposent souvent à nous en ce
qu'elles nous précèdent dans la vie de l'établissement. Elles délimitent à leur
manière l'horizon des possibles dans l'acquisition des savoirs et savoir-faire.
Contraignantes, elles régissent aussi les comportements quand elles empiètent à
ce point sur nos bulles spatiales que la violence apparait à certains comme un
moyen légitime de défendre leur "territoire". L'espace n'est plus
alors une des conditions de l'apprentissage; il en devient l'enjeu.
Habiter l'école.
Mesurons-nous suffisamment l'impact de nos décisions quand il s'agit d'organiser
l'espace… ou – si nous nous en remettons à l'aléatoire – de nous laisser
structurer par lui, le plus souvent à notre insu? Ce "hasard" risque
alors d'ouvrir plus grande encore la porte à la discrimination, de laisser le
champ libre à la compétition, de donner quartier libre à l'agressivité.
En accrochant
adéquatement chaque matin leur manteau au crochet au-dessous duquel une étiquette
identifie leur prénom, Julie ou Martin entament bien sûr l'apprentissage de la
lecture. Mais à travers ce geste anodin, ils associent également un objet
personnel à un espace de "propriété privée"; ils aménagent ainsi une
première frontière matinale entre eux et les autres.
Ces
comportements par lesquels nous investissons l'espace nous apprennent en fait notre
place: celle qui nous est attribuée, celle que nous voudrions prendre, celle
que nous arrivons à négocier. Symétriquement, ils témoignent de la place des
autres: celle qu'ils occupent, celle que nous leur laissons, celle à laquelle
nous voudrions les rencontrer.
Comme en
photographie, entre grand angle et zoom, entre intégration et distinction,
entre nous et je, l'école pose et repose sans cesse une question de place.
François TEFNIN