Il court, il court... le recours!

Gagner ou perdre un procès. Et donc, gagner ou perdre un recours. Avec ce que cela suppose d'espoirs déçus ou de sentiments de victoire, les uns et les autres toujours inégalement répartis. Forcément. Ce que l'un engrange, l'autre s'en sent dépossédé.
Qu'on soit pouvoir organisateur, directeur, enseignant, élève ou parent, le recours a l'art de chatouiller quelques ingrédients de notre personnalité: notamment ceux qui ont maille à partir avec l'image de nous-mêmes ou avec notre rapport au pouvoir.
S'il parait illusoire de vouloir sortir totalement le recours du champ des réactions affectives, ne serait-il pas possible néanmoins de prendre un peu de distance avec nous-mêmes pour entendre d'autres considérations? Considérations dans lesquelles le droit aurait une part à laquelle l'école est longtemps restée étrangère.


Quand recours rime avec détour…

S'il est un terme qui a le don de déclencher des décharges d'adrénaline dans les cahiers de cotes les plus zen, c'est bien celui de "recours". Depuis son apparition en juillet 1997, propulsé au-devant de la scène scolaire par le décret "Missions", il a déstabilisé plus d'une délibération, rendu espoir à plusieurs élèves et donné quelques cheveux gris supplémentaires à l'un ou l'autre directeur… qui n'avait pas besoin de cela.
Et pourtant, la possibilité de recourir contre une décision n'est pas l'apanage des élèves et ne se limite pas au champ pédagogique. En effet, dans le domaine disciplinaire, les enseignants de tous les niveaux d'enseignement peuvent eux aussi contester, s'ils l'estiment injuste, une décision prise par leur Pouvoir organisateur; ils peuvent faire appel à une chambre de recours. Dans ce même champ disciplinaire, les élèves disposent également des moyens de remettre en question une sanction ou un refus d'inscription.
Si le recours contre une décision d'échec est le plus souvent mal perçu par les enseignants, c'est sans doute qu'il touche à l'image qu'ils se font de leur métier, mais aussi du pouvoir longtemps incontesté qui fut le leur. En effet, on ne peut dissocier les procédures de recours et leurs effets, du type d'évaluation pratiqué à l'école. C'est parce que l'évaluation certificative est aux mains du conseil de classe que les réclamations qu'elle entraîne parfois sont vécues comme autant d'atteintes à son bon jugement, voire à son impartialité. Si la décision – ne fut-ce que partiellement – venait d'ailleurs, les contestations seraient elles aussi "réorientées". C'est donc bien la fonction de l'enseignant qui est interrogée à la faveur de ce dispositif.
Révélateur de l'image que les enseignants se font d'eux-mêmes, le recours dit aussi quelque chose de la façon dont les parents se présentent à l'école. En faisant référence à la distinction classique entre les parents usagers, clients ou partenaires, on voit bien que le recours n'est pas investi de façon identique selon la posture adoptée, même si prioritairement, il encourage les tendances consuméristes présentes en proportions diverses en chacun d'entre nous dès que nous revêtons notre costume parental.
Entre les représentations des uns et des autres, le plus important n'est-il pas qu'à la faveur de cette procédure, un tiers soit introduit dans la relation entre le professeur et l'élève (et dans son ombre, ses parents)? Un tiers dont la distance le rend précisément capable de médiatiser leur rapport quand celui-ci se hérisse. Cette intervention d'un "autre" dans le face à face pédagogique n'était pas très fréquente dans l'école traditionnelle. On peut aujourd'hui en apercevoir d'autres signes quand les éducateurs occupent une place significative dans les établissements. Quand les enseignants travaillent en équipes. Quand les compagnons de classe ne sont pas de simples figurants, mais de réels coéquipiers. Quand le savoir n'est pas identifié au maître, mais reconnu comme un objet de débat et de confrontation. Quand… Se familiariser avec la médiation de tous ces "objets tiers" ne va sans doute pas de soi. Cela suppose un détour et un apprentissage. Mais que demande-t-on d'autre à l'École?

François TEFNIN

Editorial du N° 21 d'EXPOSANT neuf, septembre-octobre 2004.