La leçon de choses: les objets à l'école

Choisir une page de cahier au délicat grammage ou le verso d'une feuille inutilement engendrée par mon imprimante?
Écrire avec mon stylo Pelikan ou un bic sponsorisé par des chaussures bon marché?
Dactylographier sur un ordinateur sous contrôle de Bill GATES ou libéré par LINUX?
Les choses nous font la leçon et nous obligent à choisir: l'esthétique ou le pratique? La nostalgie du sépia ou le modernisme fonctionnel? La perception subjective ou l'analyse décapante?
Une invitation à lire les objets et les usages que nous en faisons…



Apprendre des objets

Quand la règle millimétrée ne prendra plus la mesure de l'incompétence du gamin qui se fie à son apparente régularité sans s'apercevoir qu'il trébuche dans les unités de mesure…
Quand la gomme effacera uniquement les erreurs qui pourraient être prises pour des fautes et qu'elle laissera subsister incorrections, maladresses et autres lapsus pour les convertir en ressorts…
Quand l'ordinateur ne fera plus écran à l'apprentissage en laissant croire aux vertus illusoires de commodes copier-coller…
Quand les réseaux informatiques ne permettront plus de confondre l'échange d'informations superficielles avec une communication avérée…
Quand les dictionnaires ne feront plus figure d'inventaires poussiéreux dont l'opulence sémantique culpabilise l'ignorance du lecteur…
Quand les équerres cesseront de jouer les triangles de secours en se croyant obligé d'imposer la rigueur de leurs angles à des élèves qui rêvent aux courbes des nuages…
Quand le bic rouge abandonnera le fautif carmin sanguin pour arborer un vermillon plus proche de la couleur des joues d'un enfant qui s'est débattu vaille que vaille avec des robinets résistants…
alors, échapperons-nous peut-être à une inculpation pour "détournement d'objets scolaires". Ceux-ci seront sollicités pour leur fonction médiatrice. Car les objets ne sont pas aussi neutres qu'ils ne paraissent. Ils semblent serviles. En toute discrétion, ils assouvissent sans sourciller nos désirs… mais aussi nos dérives. Il nous arrive de les soustraire à leur vocation émancipatrice pour les confiner dans des rôles assez éloignés de nos déclarations éducatives et pédagogiques.
Sous leur apparence statique, les objets font miroiter nos mobiles… pour peu que nous acceptions d'y prêter attention. Prodigues en matière de révélation, ils élargissent même notre potentielle prise de conscience: en effet, notre manière de vivre les objets peut-elle s'avérer fondamentalement différente de notre rapport au monde en général et de notre relation aux autres en particulier? Sommes-nous à ce point "compartimentés" qu'il nous soit possible d'être hautains ou utilitaristes avec les uns et amicaux ou désintéressés avec les autres?

François TEFNIN

Editorial du N° 10 d'EXPOSANT neuf, mai-juin 2002.