La rentrée

Sortir
Au moment d'aborder une nouvelle rentrée et pour vous la souhaiter réussie, permettez-nous, de manière un peu paradoxale, de vous inciter à entreprendre quelques… sorties!
Et tout d'abord, sortir des sentiers battus. Bien sûr, assurez-vous de ne pas oublier les routines que l'expérience a rendues efficaces. Mais, osez aussi abandonner les habitudes quand elles se révèlent paralysantes. Pendant vos vacances, vous écartant librement du chemin dicté par le guide rassurant dont vous étiez muni, vous avez découvert un paysage de toute beauté; non prévu au programme. Bien sûr, vous êtes revenu ensuite sur votre itinéraire, mais ce petit détour a donné le déclic à vos meilleures photos. À l'école aussi, sortir des autoroutes, qu'elles soient méthodologiques ou didactiques, peut s'avérer riche en découvertes. Et pour alimenter notre créativité, ne négligeons pas les ressources de la pédagogie. La pédagogie qui, dans sa diversité et quoique vitupèrent certains, n'est pas d'abord affaire de gourous, mais de recherche passionnée des meilleures voies d'accès au savoir pour tous.
Sortir des représentations toutes faites, ensuite. De celles qui nous font entendre les erreurs d'un élève avant même qu'il ait énoncé la moindre réponse, convaincus que, comme d'habitude, il ne peut que se tromper. S'extraire également des images préformatées de tel collègue dont les principes nous paraissent en tel déficit éducatif que nous avons décidé de l'ignorer. Émerger aussi des perceptions en acier inoxydable de ce qui est bon, vrai, beau, juste… "ici et en tout lieu" afin d'éviter la tentation d'intransigeance.
Sortir de nous-mêmes, enfin. Pour, peut-être, nous surprendre à être multiples. Ce qui constituerait sans doute une ressource facilitatrice pour rencontrer l'autre. Un autre qui, malgré ou à cause de notre statut d'adulte et d'éducateur, devrait obstinément avoir le choix d'être différent de nous. Au risque, dans l'hypothèse inverse, de nous muer en téméraire Frankenstein.

François TEFNIN

Article publié dans la lettre d'information électronique Quelques clics éclectiques de la revue EXPOSANT neuf, du 1 septembre 2004.


Rentrer
1er septembre. Tradition ou découverte, rituel ou innovation perpétuelle, habitude ou fête, la rentrée s'impose à nous. Pour l'aborder sereinement, EXPOSANT NEUF se propose de la décliner en prenant appui sur l'opulence des explicitations différenciées du dictionnaire.

RENTRER v.i. [auxil. être]
1. Entrer de nouveau quelque part, y pénétrer après en être sorti.
Pour en être sorti, Jean en est sorti. Mais par la petite porte. Il n'a dû son salut qu'à la relative clémence du conseil de classe. Pour lui, "entrer de nouveau" en classe s'apparente à y recommencer à neuf. Une sorte de virginité scolaire retrouvée qui, dans le regard de ses profs et dans le sien d'abord, devrait lui permettre d'échafauder une réussite mieux assurée.

2. Revenir dans une situation, un état qu'on avait quitté.
Du haut de ses huit ans, Sandrine était dans tous ses états quand elle a quitté ses copines le 30 juin dernier. Deux longs mois sans se voir? Mission impossible! Comment se passer des rires de Sophie, des confidences de Julie, des projets toujours un peu turbulents de Bénédicte? Que revienne septembre! Et vite!

3. Revenir chez soi ou à son lieu habituel.
Pour être habituelle, la classe de Louis est habituelle! Cela fait vingt ans qu'il l'occupe. Au point de s'y sentir chez lui. "Sa" classe de géo, il la connait par cœur: à force d'avoir pivoté sur elle-même, la mappemonde ne tourne plus très rond, à croire qu'elle est contaminée par le monde qu'elle représente. Les cartes murales de l'Europe ont peine à suivre les retouches de l'institution aux contours sans cesse revus et corrigés. Autant de changements qui contrastent avec la régularité de la présence de Louis dans son antre. Il en vient même parfois à se demander si cette routine constitue pour lui une sécurité ou un enfermement...

4. Reprendre ses activités, ses occupations après une interruption.
Pour une interruption, ce fut une interruption! Cela faisait quinze ans qu'elle en parlait et – enfin! – Joëlle a réalisé son rêve: un voyage en Patagonie. Des paysages à vous couper le souffle. Des rencontres indigènes surprenantes. Des émotions à n'en plus finir. Oui, mais maintenant, il faut "atterrir"! Comment passer des calmes rudesses de la Pampa aux sollicitations multiples de vingt-deux grands de troisième maternelle?

5. Faire retour sur soi-même, réfléchir sur sa conduite. Rentrer en soi-même.
Les formations la prônent, l'expérience en prouve l'efficacité même si le temps manque souvent pour la pratiquer autant qu'on le souhaiterait: la réflexivité a permis aujourd'hui à Chantal d'assumer sa fonction de directrice avec davantage de philosophie, nourrie de ses erreurs et confortée par ses réussites. Face à la succession pas toujours maîtrisée de ses nombreuses tâches quotidiennes, elle tente de se préserver quelques pauses pour s'asseoir et se regarder marcher.

6. Être compris, contenu, inclus.
Pour Thomas, la rentrée ressemble fort à un pile ou face. Son changement d'école était une question de survie. Les quolibets et autres allusions malveillantes l'avaient poussé à trouver comme seule échappatoire un absentéisme sans doute peu efficace, mais moins blessant. Comment se comporter pour se faire accepter quand on a le sentiment d'être différent? Sans devoir jouer perpétuellement un personnage dans lequel on ne se reconnaît pas. En trouvant autour de soi des appuis adultes sécurisants sans être surprotecteurs.

La rentrée existe-t-elle? Sans doute rencontre-t-on "des" rentrées. Tant sont nombreuses les dispositions de ceux qui y sont confrontés.
Peut-être croiserez-vous au fond d'une classe ou au détour d'un couloir Jean, Sandrine, Louis, Joëlle, Chantal ou Thomas. Peut-être même, vous sentez-vous un peu l'un ou l'une d'entre eux, voire plusieurs simultanément. Peut-être serait-il sage – voire même efficace – de permettre une expression de ces mille et une façons de vivre la rentrée. Histoire de faire ou refaire connaissance. Avant de poursuivre votre projet pédagogique avec un subtil mélange d'obstination et d'indulgence. Une manière de réduire autant que faire se peut les effets d'une autre définition du verbe "rentrer": "retenir en soi, refouler, cacher".
François TEFNIN

Article publié dans la lettre d'information électronique Quelques clics éclectiques de la revue EXPOSANT neuf, du 1 septembre 2003. 


Expo 2003

Aux lecteurs et lectrices d'EXPOSANT neuf,
Doucement, se tarit 2002. Un patronyme symétrique à s'y méprendre. Même les dyslexiques n'y ont vu que du feu. Entre les deux "deux", un double zéro. Mais ce n'est pas rien, en regard du temps qu'il a fallu pour en arriver là: une vertigineuse ascension asymptotique d'histoires individuelles et collectives qui se rejoignent.
2003 s'annonce. Comment allons-nous le décliner? En nous multipliant en projets divers? S'il s'agit de multiplication, nous pourrions peut-être imiter Cyrano, par exemple "en variant le ton" et surtout, pour nos vœux, en modulant l'exposant:
EXPOSANT UN. Pas de risque pour débuter. Histoire de se rassurer: rester soi-même. Ce qui n'est déjà pas si mal en ces temps mouvants où un inconnu se starifie en quelques leçons spartiates et où – dupés par l'EPO – nous avons quelque peine à apprécier à sa juste valeur le lauréat de l'exploit obtenu "à l'insu de son plein gré".
EXPOSANT DEUX. Plus qu'un dédoublement, nous voici portés au face à face avec nous-mêmes. Carrément. De cette confrontation introspective, verrons-nous éclore une élévation – pas forcément financière – de notre niveau de vie?
EXPOSANT TROIS. Qu'ils sont loin, les cubes de notre enfance! Du temps où, sans avoir besoin d'y réfléchir, nous arrivions à joindre corps, cœur et esprit en une unité qu'aujourd'hui nous avons parfois quelque difficulté à reconquérir. Le temps d'un vœu, réexposons-nous donc à cette enfance!
EXPOSANT QUATRE. Tel un jeu de stratégie: puissance quatre! Pour autant de saisons à venir, comment être diplomate sans être tacticien et habile sans être fourbe? Histoire d'anticiper et de négocier, pour donner une chance à nos projets de ne pas s'attarder dans les cartons du virtuel.
EXPOSANT CINQ. Cinq comme les doigts de la main. Une main qui nous autorise la douceur comme la fermeté, l'indication d'une direction ou l'écriture d'un mot de complicité, l'accompagnement d'un enfant ou un geste d'encouragement; autant de choses à cultiver dans les douze mois à venir.
EXPOSANT SIX. Sur quelles assises fonder la construction de la prochaine année d'éducation? Sans doute en laissant décanter "l'air du temps". Mais aussi, en faisant nôtre la proposition de Philippe MEIRIEU: "A nous donc d'inventer ensemble, dans nos contradictions, une éducation pour une société qui avance aujourd'hui sans référence absolue, ni morale en prêt-à-porter".
EXPOSANT SEPT. Une exposition des sept merveilles du monde! Quelle opulence cela constituerait! Mais pour 2003, peut-être serait-il plus sage d'opter pour la simplicité et la modération dans un monde où la prescription de l'excès devient la norme. Accordons-nous le luxe de la mesure et l'éclat de la discrétion.
EXPOSANT HUIT. Cela commence à faire beaucoup! Au point qu'il devient difficile de se faire une représentation d'une telle quantité. Et si nous profitions des 365 jours généreusement offerts par l'année nouvelle pour privilégier de temps en temps la qualité plutôt que l'abondance?
EXPOSANT NEUF. Nous voici en terrain connu. Quittons les références chiffrées pour la nouveauté. Du neuf, encore du neuf! Que demander de plus à une année encore toute ficelée dans son emballage cadeau? Et pourtant! Méfions-nous des modes si vite débordées. L'éducation et l'école ne se débattent-elles pas toujours – dans les deux sens du terme – entre héritage et innovation? Pour composer notre posologie personnelle – et si possible partagée – de ce subtil mélange, peut-être pourrions-nous simplement activer un de ces desseins souvent échafaudés, mais jamais aboutis. Lui donner corps en 2003: ne serait-ce pas un enviable programme qui relève de notre compétence? Et puisque Pierre RAPSAT nous confie qu'une étincelle suffit…
"Mais les rêves, tous ces rêves
Que l'on ne faisait plus
Mais les rêves, tous ces rêves
Que l'on croyait perdus
Il suffit d'une étincelle
Pour que tout à coup
Ils reviennent de plus belle
Au plus profond de nous"

François TEFNIN




Article publié dans la lettre d'information électronique Quelques clics éclectiques N° 18 de la revue EXPOSANT neuf, du 20 décembre 2002.


Faut-il vraiment rentrer?
"De toutes les écoles que j'ai fréquentées, c'est l'école buissonnière qui m'a paru la meilleure". (Anatole France)
Si même les prix Nobel de littérature nous incitent à la désertion, comment trouver le dynamisme nécessaire pour rallier la rentrée? Comme enseignant, celle-ci nous impose pourtant un enthousiasme contagieux, condition nécessaire et sans doute jamais suffisante d'une motivation en miroir de notre public. Aux yeux de celui-ci, l'École ne s'est pas encore parée des attraits d'une quelconque île de la tentation. Comment dès lors pouvons-nous rivaliser avec les stories d'une banale quotidienneté élevées par la roublardise télévisuelle au rang de fabuleux destin? Ne partons-nous pas battus dès l'entame de la partie?
Face à cette rude concurrence, il nous faudra sans doute déployer des trésors de créativité pédagogique, nous cramponner solidairement avec quelques collègues, accepter de faire le gros dos quand la vague sera trop vigoureuse.
Et pourtant! Au-delà de technologies éternellement nouvelles qui ne peuvent jamais donner que ce qu'elles ont, derrière les réformes et les injonctions qui ne valent vraiment que lorsqu'elles hébergent aussi un projet collectif et individuel, malgré ou en raison de tous les chamboulements d'une société déroutée et déroutante, l'enseignant n'a-t-il pas à certifier? Non pas seulement lors d'une distribution plus ou moins objective de réussites ou d'échecs. Mais davantage certifier qu'autrement, c'est possible: apprendre autrement, sans la peur de se tromper; enseigner autrement, sans l'appréhension du regard des collègues; diriger autrement, sans prendre à sa charge tous les problèmes; éduquer autrement, sans crainte de dire "non".
Peut-être alors l'enseignant pourra-t-il se reconnaître dans cette définition du poète: "Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver" (René CHAR).
En ce début d'année scolaire, nous souhaitons que les traces que vous laisserez chez vos élèves ou étudiants les fassent rêver. Rêver d'un autrement qu'ils auront soin de construire et dans lequel reconnaîtrez-vous peut-être une part de vous-même.

François TEFNIN

Article publié dans la lettre d'information électronique Quelques clics éclectiques de la revue EXPOSANT neuf, du 1 septembre 2002.



La rentrée

"Certains voyagent pour réguler leur température comme les cigognes, ou encore pour vérifier des rêves ou des théories. D'autres s'éclipsent un moment pour se faire désirer…" (Jacques MEUNIER, ethnologue et poète français)
Sans doute, ami lecteur d'EXPOSANT neuf, est-ce dans cette dernière catégorie qu'il faut ranger votre revue. Mais rassurez-vous, l'absence n'était que momentanée, juste le temps des vacances scolaires. À ce propos, les vôtres furent peut-être stimulantes ou reposantes, manuelles ou intellectuelles, sportives ou oisives… Quel que fût votre choix, nous espérons qu'il vous a permis de revenir requinqué, prêt pour de nouvelles entreprises pédagogiques. Pour celles-ci et à notre manière, nous espérons pouvoir soutenir votre dynamisme et votre créativité. Ceux-ci seront sans doute utiles pour rencontrer des élèves qui nous ressemblent chaque année un peu moins.
"Bien sûr, les enfants ont changé depuis mon enfance! Ils sont devenus fluorescents, leurs baskets luisent quand ils pédalent dans la nuit, les walkmans leur font des têtes de mouche et des surdités de vieux, ils parkinsonnent comme d'authentiques rockers, raccourcissent tifs et jupes dans l'espoir de se rallonger, bouffent le matin les graines des oiseaux et à midi l'ordinaire yankee, jurent comme on nous l'interdisait et s'envoient des films qu'ils nous défendent de voir". (Daniel PENNAC)
La rentrée constitue toujours un moment particulier de l'année scolaire: celui où alternent l'image stéréotypée d'une page redevenue blanche par la grâce d'une poudre à lessiver ultra-méga-giga-rikiki vacancière et celle tout aussi conventionnelle d'un compteur qui aurait retrouvé les zéros de sa naissance non encore synonymes de catastrophe évaluative. Au-delà de ces représentations d'Épinal, se dissimule fondamentalement l'espoir des uns et des autres. Celui des adultes est trop peu souvent à leur goût superposable à celui des enfants ou des jeunes. C'est pourtant – et même précisément – à partir de cette différence qu'il nous faut élaborer notre action pédagogique. Histoire d'éviter que l'école ne corresponde à la définition ci-dessous: "Écoles: établissements où l'on apprend à des enfants ce qui leur est indispensable de savoir pour devenir des professeurs". (Sacha GUITRY)
Si l'enseignement et l'apprentissage s'accommodent mal de recettes simplistes, on peut néanmoins difficilement se passer des ingrédients que sont le désir et l'espoir évoqués ci-dessus. Aussi, nous vous souhaitons de pouvoir les cultiver l'un et l'autre pour vous-même, ce qui reste encore le meilleur moyen – par contagion – de les susciter chez vos élèves.

François TEFNIN

Article publié dans la lettre d'information électronique Quelques clics éclectiques de la revue EXPOSANT neuf, du 1 septembre 2001