L'art pour s'exprimer, se libérer. Dire
quelque chose de soi. Aux autres, sans doute. Mais d'abord à soi-même. Un
sentiment familier ou un désir enfoui. Une irruption soudaine ou un trouble
longtemps muri. Une catharsis libératrice ou une élaboration minutieusement planifiée.
L'art pour apprendre. Dompter les ficelles
d'une technique. S'imposer des gammes. Apprivoiser le pinceau. Manier la plume.
Malaxer la terre. Imiter scrupuleusement un modèle ou oser le geste inconnu, la
parole incongrue.
L'art pour lire le monde. Fréquenter les
œuvres: les classiques, mais aussi les contemporaines. D'ici ou d'ailleurs.
Connaître les théories, identifier les mouvements, reconnaître les courants.
Courir au musée avec assiduité. Décoder ainsi le monde de l'art, mais le déborder
aussi, pour saisir une réalité plus large. Se sentir appartenir, enraciné.
L'école et l'art. Pour être soi? Pour
être artiste? Pour être cultivé?
Wladyslaw et Wilm
20 mars 2003. Aujourd'hui,
Bagdad a été bombardée pour la première fois. À l'heure où les missiles
s'écrasent sur des populations civiles innocentes et sur les principes précaires
du droit international, rédiger un éditorial sur l'art à l'école parait
dérisoire. Certes d'habitude, les autres misères du monde ne nous empêchent pas
de vaquer à nos occupations les plus insouciantes. Mais cette guerre est
médiatisée à l'excès. Elle piétine délibérément les fragiles résolutions
internationales. Elle prétexte de "nobles" motifs qui camouflent bien
mal ses motivations réelles. Est-ce pour cela qu'elle réveille davantage notre
conscience assoupie par l'accoutumance au malheur?
Effectivement, l'art semble dès
lors une préoccupation futile. Et pourtant…
Ne constitue-t-il pas un rempart potentiel contre la barbarie? Dans le plein de
ses vides ou l'intensité de ses blancs, l'expression artistique, par ce qu'elle
omet ou ne montre pas, permet d'imaginer en toute liberté ce qu'elle cache ou
retient. La confrontation des patrimoines d'ici et d'ailleurs témoigne, en
humanité partagée, d'une quête de réponses aux grandes questions que les hommes
redoutent aujourd'hui comme hier. La diversité des œuvres permet à chacun d'en
pénétrer l'une ou l'autre pour s'y reconnaitre. Les couleurs, les formes et les
sons disent à leur manière ce que confusément nous ressentons quand les mots
nous abandonnent. Leur univers de symboles permet d'éprouver les sentiments les
plus violents à l'abri d'un passage à l'acte. Forte de son inutilité apparente,
la démarche artistique offre la possibilité à l'enfant, au jeune, à l'adulte
d'affirmer son identité et de croiser en écho l'universalité qui brasse et
rallie les singularités.
On peut rêver d'une formation
artistique qui suspendrait les gestes fatidiques. Un peu à l'image de cette
rencontre de Wladyslaw SZPILMAN et de Wilm HOSENFELD. Dans un immeuble en ruine
de Varsovie où il a trouvé refuge pendant la deuxième guerre mondiale, le
premier est surpris par le second, officier allemand. Sa capacité à interpréter
Chopin sur un piano providentiel lui sauvera sans doute la vie. Ce que les
argumentations les plus implorantes n'auraient pas obtenu, une partition, et
surtout son interprétation, l'arrachent: la grâce. N'est-ce pas là – dans
toutes les acceptions du terme – le propre de l'art?
François TEFNIN