Les temps sont
durs! In illo tempore, tout allait mieux. Les élèves étudiaient. Au pire les
parents s'abstenaient d'interférer avec l'École, au mieux ils collaboraient.
Les profs n'avaient pas encore le moral dans leur talon d'Achille.
Au jour
d'aujourd'hui, l'École s'efforce malgré tout de conjuguer à tous les temps et
tous les modes (et même toutes les modes!) pédagogiques quelques principes
immuables:
* articuler l'imparfait du subjectif au
plus-que-parfait supposé d'un savoir rationnel;
* dépasser un présent indicatif de satisfactions
trop immédiates pour échanger quelques efforts studieux contre les promesses
d'un futur apparenté pour beaucoup à un conditionnel;
* répondre à la fois à la diversité des impératifs
singuliers et à la nécessaire recherche de convergences collectives.
Entre un passé
pas toujours simple et un présent hypothéqué par un futur parfois aux abonnés absents,
l'École traverse le temps dans un passage plus ou moins bien protégé
d'influences contradictoires, entre temps forts et temps morts. Elle se hâte
lentement, histoire de ne pas arriver hors délais.
Le temps promis
Apprendre le
temps…
Temps-durée
rempli à ras bord de cours, d'activités, de leçons et autres travaux pour
apaiser la peur du vide dont est frappée l'école.
Temps-délai
toujours trop court quand il s'agit de remettre un travail, toujours trop long
dès qu'il est question d'aspirer aux vacances.
Temps-arrêt
qui autorise de souffler un peu quand il n'est pas aussitôt récupéré par le
prof pour vous astreindre à une introspection réflexive.
Temps-mémoire
où s'alignent sur une ligne du temps mentalement virtuelle des savoirs plus ou
moins bien immunisés de l'amnésie et des souvenirs d'expériences qui n'avaient
parfois de scolaire que leur ancrage spatial.
Temps-répit
concédé aux récréations mais aussi à toutes ces distractions usurpées à
l'attention due au maître, de plus ou plus adroitement camouflées et de moins
en moins empreintes de culpabilité.
Temps-répétition
qui, de l'horaire hebdomadaire au rythme annuel de soi-disant trimestres
hypertrophiés ou anémiques, rassure les obsessionnels et rudoie ceux qu'attire
la variété.
Temps-ressource
compté et recompté, investi avec un intérêt quasi bancaire en capital-période
ou égrené en heures aux allures de lasses récidives au point qu'un génial
inventeur économe réussit un jour à falsifier le tour d'horloge en cinquante
laborieuses minutes.
Temps-sanction
synonyme de privation d'une liberté reconvertie en retenue justifiée bien
souvent par le fait d'en avoir manqué.
Temps-anticipation
dans lequel s'initient les projets individuels et collectifs jaugés à l'horizon
de nos désirs et finalement ramenés aux impitoyables limites de la réalité.
Soucieux
de ménager ses lecteurs à la veille des vacances, le comité de rédaction
d'EXPOSANT neuf avait
décidé de consacrer le dossier de ce numéro à un sujet moins ardu. Il avait
opté pour "Le temps à l'École".
J'anticipais le moment où je devrais rédiger l'éditorial: au fur et à mesure
qu'elles me venaient, je notais quelques réflexions sur des bouts de papiers
que je rangeais méthodiquement dans une farde.
Fort
de cette provision d'idées, je m'étais donc apprêté à discourir sur les différentes
formes que peut prendre le temps scolaire. J'en étais là de mes réflexions
quand me parvint la nouvelle du décès accidentel d'un petit garçon de six ans.
Comme me le confiait son papa, enseignant et formateur d'enseignants, aucune
formation n'est programmée pour affronter une telle situation. Sans doute parce
qu'on ne voit pas très bien les propos qu'on y tiendrait. Six ans: à l'aube
d'un âge dit de raison, une vie est certes déjà riche d'expériences et de
souvenirs mais encore tellement insouciante du temps à venir. Au point qu'il ne
faille pas encore le compter ou le gérer, avoir le souci d'en gagner ou la
crainte de le perdre. Six ans: le temps des promesses que la famille se charge
d'entourer et de faire grandir avec tendresse et affection. Promesses qu'à sa
mesure, l'école contribue aussi à mûrir avec bonne volonté et parfois quelques
maladresses imputables à des exigences de programmes ou autres soucis de rentabilité.
Or, les promesses se laissent rarement cadenasser dans des programmes ou juger
à l'aune de la rentabilité. Les promesses ont besoin de temps pour s'épanouir
et c'est sans doute cette éclosion brisée qui dicte la souffrance.
Nathan,
toi qui as l'éternité devant toi et quand tu auras terminé de compter les
étoiles, peut-être pourrais-tu user de ton influence pour nous inciter à
habiter notre temps sur le mode de la promesse.
François TEFNIN