Jeudi 5
septembre. Huit heures quarante. Radio Une. Depuis l'aube, on nous bassine les
oreilles avec la rentrée des classes du secondaire: sentiments d'élève,
récriminations de prof, préoccupations de directeur, sérénité de ministre. Le
tout entrelardé de jeux radiophoniques. Le dernier en ondes consiste à répéter
à l'antenne un mot de passe. Bien sûr, les joutes ertébéennes n'ont pas encore
délaissé les vallées restitutives pour accéder aux alpages compétentiels.
L'animateur
réussit à joindre sur son GSM un ado préalablement inscrit par SMS ou e-mail –
NTIC obligent. Inévitable question à l'heureux compétiteur, tout haletant à la promesse
de quelques euros encore virtuels: "Où
êtes-vous… au travail, à la maison, en voiture? Qu'est-ce que c'est tout ce
bruit qu'on entend derrière vous?". On ne remerciera jamais assez le
géniteur des téléphones sans laisse d'avoir aussi souvent permis à l'homme
moderne de répondre à cette interrogation existentielle: "Où suis-je?". De l'autre côté du poste, une voix
discrète, pour tout dire gênée, répond entre le haut et le bas – et plus près
du bas que du haut –: "À
l'école". Interlocation de l'animateur, qui fait préciser la
localisation: "Comment? Vous êtes en
classe?". Et l'autre obligé d'avouer son forfait… enfin quand je dis
"forfait", on ne sait trop qui considère la chose comme telle. Certes,
ni le prétendant europhile, ni le présentateur extasié, retrouvant l'espace
d'un moment sa malice de gavroche rentré.
- Et la prof ne
m'entend pas?
(Ah, cette prétention radiophonique à se prendre pour une discothèque!). Comment faites-vous? Vous avez une
oreillette et un micro?
- Non, je me cache!
Mais
revenons à notre sujet. Le maitre de cérémonie se rappelle soudainement l'objet
de son coup de fil. "Connaissez-vous
le mot de passe?". Divine providence! Il existe quand même une
justice! Le potache ignore le sésame qui lui aurait délivré monnaie sonnante et
trébuchante. Seul son GSM a sonné et pour ce qui est de trébucher, c'est lui
qui s'aplatit lamentablement. Rideau.
Imperturbable,
dans une classe de notre beau royaume, une prof d'espagnol continue à délivrer
quelques bribes de communication hispanique, sans même savoir qu'elle vient de
passer en direct live dans le poste!
Huit
heures cinquante cinq. L'émission va venir buter sur l'impérialisme
publicitaire. Le présentateur rappelle la péripétie téléphonico-scolaire. Que
s'est-il passé: retour du sens moral? Réactions d'auditeurs anciens élèves
disciplinés? Injonction d'un fonctionnaire du Ministère de l'Éducation chargé
d'écoute radiophonique? Toujours est-il que notre homme se sent obligé de
rappeler que l'usage du GSM est interdit par les règlements des écoles. Tout
est bien qui finit bien.
Ce
soir, je reprends la lecture de mon bouquin sur les dépendances: sport,
Internet, boisson, jeu, travail, achats… Tout fait farine au bon moulin pour
qui ne peut résister à l'appel de la tentation. Une addiction analysée par chapitre
qui se clôt par un questionnaire susceptible de diagnostiquer votre degré de
propension à tomber dans les pièges d'une passion aux allures d'obsession.
Transposons.
Voici ce que pourrait donner un tel questionnaire appliqué aux enseignants
branchés (car, bien sûr, personne n'est à l'abri!):
1.
Il
est arrivé que votre téléphone portable vous hèle pendant un cours.
2.
Vous
y avez répondu.
3.
Vous
avez déjà donné un travail à vos élèves pour pouvoir relever vos SMS.
4.
Vous
avez acheté un GSM avec vibreur pour passer plus inaperçu en classe.
5.
Vous
devez consulter votre boite à messages à chaque intercours.
6.
Vous
avez déjà téléphoné de votre local au secrétariat pour vérifier que la salle de
projection était libre.
7.
Parfois,
votre fille vous téléphone pendant la journée pour vous demander si la réponse
qu'elle a donnée à son prof – qui donne le même cours que vous – est aussi
fausse que ce qu'il prétend.
8.
Vous
utilisez la fonction "réveil" de votre GSM pour vous signaler qu'il
ne reste plus que cinq minutes de cours.
9.
En
juin dernier, en délibération, votre GSM vous prévenait de l'évolution des
scores de la coupe du monde.
10. Au lieu des notes de vos élèves,
vous avez déjà recopié involontairement votre numéro de GSM dans les bulletins.
Si vous
avez obtenu plus de 4 réponses positives, vous êtes atteint! Un changement
d'orientation s'impose: une carrière dans les télécoms vous assurerait une
optimisation de votre penchant pour la téléphonite aigüe.
Comment
dites-vous? Quel était le mot de passe à répéter? Ben voyons: le seul terme de
la langue française qui convienne à l'objet du contentieux: partout! Cela ne s'invente pas!
Eugénie DELCOMINETTE