Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais les vacances m'ont
toujours intriguée. 30 juin. Rideau sur l'année scolaire. On va enfin échanger
le banc scolaire contre son frangin solaire. On croit avoir rejeté aux
oubliettes l'insupportable Kévin, son obstruction obstinée et sa mère
hystérique. On pense être quitte de la collègue de … (pour éviter toutes
représailles, je vous laisse le soin de compléter vous-même la mention utile)
et son apathie pédagogique (ou sa frénésie méthodologique, c'est selon!). On
est enfin débarrassé des exigences toujours abusives de son directeur (ou de
ses absences de réponse à répétition, c'est selon!). Devant soi s'ouvre enfin
un espace sans bulletin à calligraphier avec un minimum d'imagination
explicative, sans corrections à vous faire douter des bonnes réponses,
tellement sont plébiscitées les erreurs. À vous, le soleil filtré exposant 9,
la mer iodée puissance 4 et la montagne déclivité 20%!
Las,
trois fois hélas! Virtuelle liberté mentale! À peine avez-vous tourné le coin
de votre rue que déjà, vous voilà assailli. Ainsi, lors d'une récente escapade
pascale et provençale, je comptais m'entrainer intensivement au farniente, en
perspective des grandes vacances. J'arpentais nonchalamment la départementale
973 entre Cucuron et Saint-Martin de la Brasque, lorsque la touriste (dont je
venais à peine d'habiter avec zèle la fonction) se trouva narguée par un
panneau de signalisation: "Trous en formation". Mon inconscient
professionnel ne fit alors qu'un tour et sortit aussitôt de sa tanière
freudienne. Deux associations d'idées me rendirent instantanément à ma
condition scolaire.
La
première. Derrière cette information tout empreinte de prévention, comment ne
pas lire une impuissante détresse… ou alors, un syndrome bureaucratique avéré,
c'est selon! Pourquoi déployer, en effet, autant d'énergie pour afficher un
diagnostic pertinent? Ne serait-il pas plus simple de cacher ce trou que je ne
saurais voir? De tels agissements ne doivent exister que dans le monde de la
chaussée. On n'imaginerait pas – à l'école, par exemple – poser un diagnostic
valide sans immédiatement prendre les mesures correctives appropriées. Mais
passons…
Deuxième
association. Légèrement surréaliste. Et s'il s'agissait, en fait, d'annoncer le
départ de trous partis se former? Imaginez: un beau petit trou – ou mieux, une
équipe interdisciplinaire de trous – inscrits à un module de formation! "Mais
Bon Dieu, direz-vous, à quoi pourraient bien se former des trous?".
Réfléchissez, ami lecteur: il m'étonnerait que des anfractuosités en mal
d'apprentissage ne puissent – autour et alentour du manque – appeler à la
rescousse psychanalytique un formateur patenté. On connait, par ailleurs, la
redoutable efficacité de la gestion mentale pour cerner avec mansuétude les
trous de mémoire. Pour faire face au stress professionnel, on néglige, à mon
sens, le potentiel formatif du golf, même si, pour être organisée, une telle formation
contraint à réunir 18 trous!
Question
subsidiaire: la formation des trous serait-elle régie par un décret? Une de nos
éminences ministérielles ne manquera sans doute pas de légiférer en la matière,
par exemple en prévoyant des formations macro, maso et rikiki:
des modules macro, pour rencontrer les trous des autres réseaux… routiers;
des formations maso, conçues pour toutes ces cavités désasphaltées
soumises à la vindicte récurrente d'amortisseurs courroucés; des formations rikiki
enfin, pour les nids de poule et autres trous de souris.
Éternelle
préoccupation, enfin: les trous partis en formation sont-ils remplacés pendant
leur absence? Qui, mieux qu'une bosse, peut remplacer un trou, a fortiori
si elle s'exhibe à la renverse? Ainsi, une bosse bosse pour boucher un trou à
l'horaire! Une bosse Anova par exemple, stagiaire brésilienne de l'école normale,
ou une bosse des maths, qui trouve là un terrain contextualisé de calculs de
volumes… C'est selon!
Cette
histoire de trous me donne le tournis! J'en viens à me demander si j'ai bien
fait de partir en vacances en Provence. J'aurais peut-être dû opter pour la
Bretagne… ou alors, la Normandie? En matière de trou, le normand n'est pas mal
non plus. À consommer avec modération, au risque de ne plus avoir Lisieux en
face des trous!
Eugénie DELCOMINETTE