Ecole-quartier: gérer la distance

L'école n'est pas une bulle, suspendue dans l'air pur à l'abri du monde. Elle est dans le monde. Dans un monde dont les contours les plus proches sont ceux du quartier. Comment s'y inscrit-elle, et doit-elle totalement y demeurer?
L'identité d'une école est le plus souvent associée au nom d'un personnage de référence (généralement un saint, dans l'enseignement catholique) et à sa localisation. Cette dénomination et cette implantation sont le fruit d'une histoire à chaque fois singulière. Celle, tout d'abord, des fondateurs de l'établissement qui, dans des circonstances historiques bien précises, ont construit un projet qui se voulait à la rencontre de leurs intentions pédagogiques et éducatives, d'une part, et d'un public auquel ils le destinaient, d'autre part.
La dimension spatiale de ce projet, principalement liée à sa localisation, n'était pas – et n'est toujours pas aujourd'hui – accessoire. Le lieu, riche de toutes ses caractéristiques, mais aussi original par ses manques, influence peu ou prou la réalisation du projet et les efforts que doivent consentir ses acteurs pour le réaliser. Parmi ces caractéristiques, la composition du public scolaire de chaque établissement constitue un aspect des plus "situés" géographiquement, socialement, économique-ment… comme nous le rappellent les débats récents sur les différentes versions des décrets "inscriptions". Lien fort dans l'enseignement fondamental, le voisinage du domicile et de l'école se fait plus lâche au secondaire, pour se réduire à la portion congrue au supérieur.
Entrez, c'est ouvert…
Pour un élève, la mitoyenneté de sa maison et de son école ne dit encore rien de la proximité psychologique et sociale qu'il peut éprouver vis-à-vis de l'apprentissage scolaire, ni vis-à-vis de ceux qui l'orchestrent ou de ceux qui y participent avec lui. Quand le sentiment d'étrangeté – souvent socialement déterminé – prime sur celui de familiarité, le travail des enseignants et le métier d'élève deviennent plus difficiles, au point de justifier des moyens supplémentaires pour réduire les inégalités d'accès au savoir. L'affectation d'un indice socio-économique aux établissements en fonction de la composition de leur public illustre cette différenciation. Pour combler la "distance" entre l'école et les familles, les équipes éducatives imaginent moult stratégies pour "faire venir" les parents (et les enfants!): de fêtes diverses en petits-déjeuners des mamans, les initiatives se multiplient pour favoriser le contact.
Dans le sens opposé, l'école ne se prive pas de sortir de ses murs pour partir à la découverte du quartier. Au point d'en faire un objet d'étude ou d'éveil, parfois même intégré dans les injonctions d'un programme. C'est non seulement le milieu physique qui est alors l'objet de toutes les attentions, mais cela peut être aussi telle association, telle maison de repos, telle bibliothèque, tel centre culturel… Les objectifs pédagogiques déclarés de cette "étude du milieu" font référence à une plus significative recherche de sens, garante aux yeux de ses promoteurs d'une motivation accrue des apprenants. On le voit, la recherche d'une certaine connivence est conçue comme une condition de réussite de l'entreprise éducative, dont certaines finalités ne se réalisent qu'au contact d'une réalité "concrète" ou de "vrais" gens. Le plus souvent, d'ailleurs, au plus grand profit des deux partenaires.
Aller voir plus loin
Pourtant, la question se pose: jusqu'où faut-il se rapprocher? Entendons-nous bien: il n'est pas ici question de liquider d'un trait les intentions et les engagements des enseignants qui se mobilisent dans de telles pratiques ni de contester un certain nombre de résultats obtenus auprès des élèves par ces pédagogies. À côté des retombées positives d'un rapport soutenu entre l'école et son contexte, on se doit cependant d'interroger aussi d'autres effets, ou plus exactement, absences d'effets.
Comme l'étymologie nous le rappelle justement, éduquer, c'est notamment "sortir de", c'est se confronter à l'inconnu, au différent, à l'autre. Un autre d'aujourd'hui, mais également d'hier, à travers la découverte de textes, de traditions ou de savoirs qui nous ont été transmis par ceux qui nous ont précédés.
On aperçoit, dès lors, que si la fréquentation du "proche" que peut représenter le quartier constitue un facteur d'intégration, d'assurance, de confiance en soi dans un environnement connu et de mieux en mieux connu, une véritable émancipation passe obligatoirement et complémentairement par une confrontation à la dissemblance, à la divergence, voire à la séparation. La recherche du même – a fortiori quand celui-ci s'assimile à un environnement plongé dans la grisaille – ne représente pas la meilleure voie vers l'émergence de "citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures"[1].
Sortir des sentiers battus
Au-delà du proche, l'accès à la différence peut emprunter mille chemins. Mais ceux-ci supposent de pouvoir s'abstraire de la sécurité de l'entre nous pour se mesurer à des personnes, à des connaissances, à des modes de raisonnement qui nous "déroutent" – qui nous font sortir des sentiers balisés par notre histoire personnelle et sociale – et nous donnent accès à des figures jusque là ignorées, à des savoirs inconnus, à la pensée abstraite.
Ce n'est que par ce détour que nous accèderons au statut d'adulte, capable aussi de pratiquer l'altérité par rapport aux jeunes que, si telle est notre vocation, nous sommes en charge d'instruire et d'éduquer. Peut-être comme enseignant. Ou encore, comme parent. Dans ce dernier cas, nous pourrons même nous engager dans l'association qui les regroupe au sein de l'école de nos enfants, en ayant saisi l'importance d'y siéger, non en représentant syndical de notre progéniture, mais en y exerçant un rôle soustrait aux tentations du singulier et ouvert aux préoccupations de l'intérêt collectif et de l'universel.

François TEFNIN




Article publié dans le N° 43 d'entrées libres, novembre 2009.
[1] Article 6 du décret "Missions" du 24 juillet 1997.