Entrez
dans une salle des professeurs. Des armoires, des tables, des chaises. Il ne
reste plus qu'à s'asseoir. Encore que…
Midi.
Nouveau venu dans cette école et soucieux de faciliter mon intégration en m'associant
au repas, j'entre dans la salle des professeurs avec mes tartines et j'avise
une des rares chaises vides. Au moment de m'asseoir, les enseignants déjà
installés m'objectent: "Non, là,
c'est la place de Monsieur X!". Je rebrousse chemin et trouve finalement
un siège à partir duquel j'observe rapidement l'arrivée de Monsieur X et le
début de la partie de cartes quotidienne.
Journée
pédagogique. Que de bonnes résolutions sont prises en ton nom! Un peu comme
les régimes décidés le jour de l'an. Dans cette autre école, des groupes de
travail avaient décidé d'encourager les contacts entre les enseignants des
cycles inférieur et supérieur. Or, la salle des professeurs était disposée en
deux rangées de tables qui voyaient se regrouper "naturellement" les
régents d'un côté, les licenciés de l'autre. Pour créer des "ponts",
il fut décidé de transformer l'agencement des tables en "U", des
tables supplémentaires reliant sur un des côtés les alignements parallèles…
dont on sait qu'ils ne se rejoignent qu'à l'infini, ce qui est un peu loin pour
favoriser l'unisson pédagogique. La mesure tint une quinzaine de jours avant
que la géographie du lieu ne retrouve sa topographie initiale.
Leçon
Que penser de
cette attribution pérenne des places? Celle-ci est la plupart du temps non
convenue et s'instaure quasi "à l'insu du plein gré" des acteurs?
Faut-il y diagnostiquer un besoin individuel et maslowien de sécurité?
Serait-ce le fruit de relations interpersonnelles fondées prioritairement sur
des "atomes crochus" (version optimiste) ou sur d'autres, plus
"répulsifs" (version pessimiste)? Peut-on faire l'hypothèse que le
découpage organisationnel d'une école (les disciplines, les options, les degrés…)
rassemble spontanément et pour une coordination efficace les enseignants qui
portent les mêmes projets pédagogiques? Devrait-on y voir la reproduction d'une
forme de hiérarchie sociale fondée sur la valeur du diplôme des uns et des
autres? Doit-on s'inquiéter que des adultes mandatés pour favoriser l'évolution
des élèves semblent peu ouverts à des changements finalement aussi minimes?
Je laisserai le
soin à chacun de trouver ou d'inventer les explications – sans doute complexes
– des comportements observés. Celles évoquées ci-dessus à titre d'exemples se situent
successivement aux niveaux individuel, interpersonnel, organisationnel,
institutionnel et des valeurs.
Devoir
Exercice
pratique: demain matin, dans la salle des professeurs de votre école,
asseyez-vous à une place que vous n'avez jamais occupée. Ouvrez grands vos yeux
et vos oreilles quand vos collègues arriveront… Et vous-même, comment vous
sentez-vous? Ensuite, racontez-nous votre expérience pour un prochain article
de cette rubrique. Le rendez-vous est pris. On ne sait jamais, peut-être une Palme
d'or vous attend-elle à Cannes…
François TEFNIN
Article publié
dans le N° 32 d'entrées libres, octobre 2008.